• Nouvelle 25 (Trophée Anonym'us) : LE PARI d'Olivier CHAPUIS

    Nouvelle 25 (Trophée Anonym'us) : LE PARI

     

    Rappel du principe ici et des suspects.

    Rappel du modus operandi : 26 auteurs édités et non-édités vont proposer une nouvelle noire ou polar (20.000 signes maximum). Les textes seront lus et jugés à l'aveugle de septembre 2016 à mars 2017 par les membres d'un jury (dont je fais partie) et qui se fera un grand plaisir de débattre et de délibérer pour trouver les gagnants. Ils seront trois à pouvoir participer au prochain festival des Pontons Flingueurs (en juin à Annecy) et le premier se verra également remettre une statuette en argile faite par l'organisateur.

     

    Nouvelle n°25 (en PDF et en EPUB)

     

                                                       MANON


         Ce type me gonfle. Avec ses ongles surmanucurés, son sourire de minet (qu’il
    doit modestement classer entre ceux de Robert Redford et de Clive Owen), sa
    mèche rebelle de plouc congénital et son autosatisfaction gluante… Des appareils
    médicaux. « Je fabrique des appareils médicaux, enfin pas moi, mes employés bien
    sûr ! » Monsieur est à la tête d’une société, ce qu’il ne manque pas de me rappeler
    toutes les cinq minutes. Et ma SA par-ci, et ma SA par-là. Ambitieux, Derek. Tu
    parles d’un prénom. Mes copines diraient que ce Derek est un homme exquis. Surtout
    Candice, qui trouve tous les hommes exquis dès qu’ils roulent en Porsche.
         Exquis.
         Comme ce cadavre. Oups, ce canard bien sûr, ce cadavre de canard que je
    dépiaute entre patates purée et légumes al dente. Je deviens pompette. Laure,
    calme-toi ! Déjà que je n’arrive pas à soutenir le regard de Derek tellement il me
    semble creux. Alors je me concentre sur mon assiette, découpe mon filet de travers,
    égare de la purée à côté de l’assiette. Le vin rouge me donne du courage. C’est bien
    de la faute à Candice et ma clique de copines. Il y a deux semaines, nous sirotions
    nos apéritifs sur une terrasse, entre ombres et éclats de soleil tranchants de canicule.
         — Le type, là-bas, le brun, je te parie qu’il roule en Porsche, a lancé Candice
    en agitant ses boucles blondes.
         Soleil et Spritz nous avaient calciné les neurones.
         — N’importe quoi. C’est le genre à se balader en Jaguar, intérieur cuir, interdit
    aux chiens à cause des poils.
         — Je vote pour la Porsche, a confirmé Bérénice.
         Julie n’a rien dit, mais elle a acquiescé lorsque Candice m’a proposé :
         — Celle qui perd doit passer une soirée avec ce gars.
         — Mais je déteste ce style de mec !
         — Tu te dégonfles ?

         Soleil et Spritz avaient écorné mon discernement, et puis ce type suintait tellement
    la Jaguar que j’ai parié. Et perdu. Trop conne, Laure, quand elle a bu et frit à la
    plage.
         Derek me sourit de nouveau. Ses yeux verts sont comme deux méduses au
    fond d’une eau claire : flasques, inconsistants. Je bois encore. Il faut que je modère
    ma consommation, la honte si je me laisse embrasser par ce play-boy ultragominé.
    Le mieux serait que je sois malade. Une bonne dégueulée au restaurant… J’aimerais
    bien voir sa tronche. Le restaurant, c’est lui qui l’a choisi. Les conventions. Primordiales,
    les conventions, pour un mec de son acabit. Il me l’a dit et répété – il aime se
    répéter, mauvais point pour un chef d’entreprise. Ouvrir la portière de la voiture (de
    l’extérieur, pas en se penchant lourdement sur les cuisses de sa passagère pour actionner
    le levier), proposer son bras pour traverser la rue, aider à enfiler veste ou
    manteau avant de quitter un établissement public. Les bonnes manières. Du style.
         Qu’est-ce que je m’ennuie.
         Le restaurant s’appelle La Gondole. Le comble du romantisme. Venise, le soleil
    à ras les toits, l’eau qui clapote et Derek m’embrasse tandis que l’esquif éventre
    lentement les flots du canal. Je bois son amour. Le gondolier fredonne ti amo. Jamais
    je ne me suis sentie aussi transportée par un homme, lequel me prend dans
    ses bras pour me déposer sur le quai avant de m’emmener au septième ciel.
         Au secours !
         — Vous avez un master en sciences politiques, c’est bien cela ?
         Je sursaute. Nous sommes là, à la Gondole, lui tout en noir, genre Nick Cave,
    moi en bleu. Je fais oui de la tête, la bouche pleine de carottes que je m’empresse
    d’avaler. J’espère que mon langage corporel ne me trahira pas. Pour sauver les apparences,
    je me suis inventé un prénom, évidemment (je n’ai pas envie que Derek
    me colle aux basques), j’ai refusé de lui donner mon numéro de portable (il vient
    d’expirer, ai-je menti) et me suis inventé un master en sciences politiques alors que
    j’ai bêtement terminé des études de lettres. Mais cette faculté est considérée comme
    un repère de fainéants. Si je voulais séduire Derek, je n’avais pas le choix. Ce genre
    d’homme recherche une femme avec du caractère, de l’ambition, solide et féminine,
    pas la future pigiste d’un torchon spécialisé dans les chiens écrasés.
         — Oui. Je vous l’ai dit lors de notre rencontre, vous avez bonne mémoire.
         — C’est une de mes qualités.
         — Je suis impatiente de découvrir toutes les autres.
         Il tousse, s’essuie les commissures des lèvres à l’aide de sa serviette –
    qu’est-ce qu’il peut être précieux dans le geste. J’espère ne pas surjouer mon rôle.
    Je suis impatiente de découvrir toutes les autres. Quelle conne ! Il va me prendre
    pour une de ces nunuches à dix centimes qui courent le yuppie dans les bars branchés.
    Sans compter la liste de ses prétendues qualités, qu’il va me dérouler tel un
    parchemin antique et m’agiter au nez toute la sainte soirée. D’un geste millimétré,
    presque trop étudié, il avance sa main vers la mienne. Nos doigts se frôlent. Je fré-
    mis, pareille à une feuille sous la bruine automnale.
         De dégoût.
         Je bois pour me donner contenance. Derrière la baie vitrée – so romantic ! minauderait
    Candice –, gronde le fleuve, mais nous ne l’entendons pas. L’ambiance est
    feutrée, un piano-bar égrène des standards jazzy. À l’horizon s’étirent les derniers
    rayons du soleil. Ce Derek est une caricature. Le genre à offrir des roses à la
    moindre occasion, à préférer le mariage au concubinage, le petit déjeuner au lit plutôt
    qu’à la cuisine… Oh non… avec les miettes qui adhèrent à vos omoplates et la
    confiture en auréoles sur le duvet !
         Ce matin, au téléphone, Candice m’a dit :
         — Un homme qui ne couche pas au deuxième rendez-vous est un gentleman,
    un homme qui ne couche pas au troisième rendez-vous est homosexuel.
         — Je ne verrai pas ce type une seconde fois, ai-je rétorqué ; j’ai perdu mon
    pari, d’accord, mais on a bien dit une soirée. Et il est exclu que je couche avec ce
    bonhomme.
         — S’il est homo, tu ne risques rien.
         Homo. Ça m’arrangerait bien, tiens. À cet instant, Derek replace une mèche
    rebelle d’un mouvement peu viril. Ou ai-je la berlue ? Je pouffe, m’étrangle. Il me demande
    si tout va bien.
         — Homosexuel, dis-je entre mes dents.
         — Pardon ?
         La honte me chauffe les joues. « Le chou de Bruxelles », rectifié-je, en montrant
    la petite boule verte dans mon assiette. Il rit. « Femme qui rit, à moitié dans ton
    lit », affirme Candice. Homme qui rit, ça donne quoi ? À notre première rencontre, sur
    cette maudite terrasse, sous les regards scrutateurs de Candice et ses succubes,
    Derek m’a proposé une virée en bateau. Pas une gondole, mais avec force Aperols.
    Ça rime. Ouh, la tête me tourne, mais ce vin est divin, pas comme l’autre, là… Nous
    avons pédibulé… qu’est-ce que je dis ? Une balade au bord de l’eau, dans mon vin
    de l’eau, et Derek a dégobillé ses petites phrases accrocheuses de séducteur à
    mèches platinées. Du grand art. Combien de temps passe-t-il à répéter son rôle ? Un
    coach, il doit avoir un coach en drague, c’est hyper tendance. Bref, il a fini par me
    proposer de dîner ce soir à La Gondole, et j’ai pu lever le pouce discrètement en direction
    de mes pouffes de copines.
         La main de Derek sur la mienne, tout à coup. Je sursaute, tente de la retirer,
    mais il la retient d’une poigne ferme et me fixe en sourire majeur. Mon cœur palpite
    d’agacement. À l’odeur d’agneau au romarin (Derek adore les côtelettes) se mêle
    celle, entêtante, ravageuse, d’un parfum pour homme que je ne saurais nommer.
    « Vous me plaisez beaucoup, Manon. » lâche-t-il, désarmant d’assurance. Je lui
    rends un sourire contrit. Du coin de l’œil, je lorgne mon sac à main, dans la doublure
    duquel j’ai planqué la webcam indispensable à ce pari débile. Filmer pour être crue.
    « Qui nous dit que tu vas vraiment y aller, à ce dîner ? » a ironisé Bérénice. Elles me
    regardent en direct. Elles doivent s’apercevoir de ma gêne, je les sens ricaner derrière
    leur écran. Les garces ! Je les entends presque exploser de rire lorsque Derek
    m’embrasse par-dessus les assiettes. Je ne l’ai pas vu venir. C’est dégoûtant. Je me
    cabre, porte mon verre à mes lèvres, le vide d’un trait. Tu ne devrais pas boire autant,
    Laure, tu ne devrais pas. Ce vin a la couleur du rubis. Ou du sang.
         Sens dessus dessous, Laure.



                                                       DEREK


         Manon Lescaut. Manon des sources. Manon, Manon, pada, dada, da… Tu
    parles d’un prénom. Cette greluche m’exaspère. Elle a le même regard que toutes
    ces intellos de gauche : idéaliste et buté. Tout en elle sent le dentifrice bon marché,
    l’insoumission et la révolte par défaut. Le genre à partir en campagne contre le nucléaire
    ou en croisière pour sauver les bébés phoques, les yeux écarquillés sur l’horizon
    d’un monde meilleur. Et à vouloir des enfants. Plein de mioches. Des blonds,
    des bruns, filles et garçons crottés jusqu’au menton à force d’avoir piétiné le jardin –
    celui qui entoure sa bicoque retapée main avec son mari écolo. Repeuplons la terre
    et aimons-nous, puisqu’il le faut !
         Palais idéal d’une Cendrillon militante et altermondialiste qui n’assume pas : si
    sa robe bleu acier semble sortie d’une boutique de seconde main, ses escarpins
    scintillent Louboutin. Parfumée Sonia Rykiel, coiffée Dessange ou un truc branché
    du genre. Sans doute enculottée de Triumph. Poulette coincée entre révolte et soumission.
         Je décline ma galanterie sans grande conviction. Je vois bien que tout est forcé
    chez elle, de son sourire agacé à sa gestuelle appliquée – même si l’alcool commence
    à la rendre malhabile – jusqu’à ce vouvoiement d’une désuétude consternante.
         — Je trouve cette manière tellement charmante, ne trouvez-vous pas, Derek ?
         — Vous reprendrez bien un peu de vin, chère Manon ?
         — Volontiers. Vous avez bien choisi, c’est un régal.
         Ce vin rouge sang, qu’elle avale en roulant des yeux, cils en battements syncopés,
    sourires à fossettes… Poulette habituée à ces jeux de séduction dont la plupart
    des hommes raffolent, Manon se décline en mode traditionnel : tiare de cheveux
    sombres, yeux verts, lèvres à la pulpe carminée. Roule en Mini Cooper. Incapable de
    remplir le réservoir sans en mettre la moitié à côté. Laissez-moi faire, en chaque automobiliste
    sommeille un pompiste. Et un Prince Charmant – un jour nous nous marierons,
    ma mie, un jour nous nous marierons…
         Étonnamment, elle a accepté sans minauder ce repas à la Gondole, où je n’ai
    nulle habitude. Cruciale, la discrétion. Un client parmi d’autres, accompagné d’une
    greluche dont personne ne retiendra la moindre fragrance. Une jolie fille parmi des
    centaines de jolies filles, femmes, dames ou mamies. Personne ne remarque personne,
    même si le voyeurisme tient boutique en notre société.
         — Vous fabriquez des appareils médicaux ? me demande-t-elle, alors que je
    le lui ai déjà dit.
         Typique de la femme peu concernée ou un peu bourrée qui ne sait pas comment
    relancer la discussion. J’acquiesce. Elle insiste.
         — De quel genre ?
         — Des balances de précision ultra perfectionnées. Elles vous pèsent des élé-
    ments de l’ordre du micro gramme.
         — Passionnant ! Le marché est vaste, n’est-ce pas ?
         Intéressée, la poulette. Ces gauchistes mangent à tous les râteliers… Je lui
    confirme ma position de leader du marché sur le continent européen, même si la
    concurrence reste féroce – les vampires du business affûtent leurs canines. Manon
    sourit. Jolies dents. Je les vois s’éparpiller au sol en une cascade d’émail sanguinolent.
    Sa bouche vide continue à me sourire, comme celle d’une vieille femme bientôt
    expirée, et je découpe une côtelette de la pointe de mon couteau, un laguiole mé-
    chamment aiguisé, qui détache la chair de l’os avec douceur. Le sang perle. C’est
    bon, l’agneau rosé. Ne jamais trop le cuire. Sinon il se dessèche et se contracte telle
    une éponge au soleil. Je porte le morceau en bouche. Fondant. Délicieux.
         Manon se tortille en buvant son vin. Dans ses yeux rougeoie le coucher de soleil
    qui s’épanouit derrière moi. J’ai pensé qu’elle adorerait cette mièvrerie, voilà
    pourquoi je lui ai proposé de tourner le dos à la salle – entorse aux bonnes mœurs
    puisque la femme doit toujours l’embrasser du regard. Afin de voir. Et d’être vue.
         Nos mains se frôlent. Je m’empresse de retirer la mienne, sans précipitation
    toutefois, pour réajuster les cols de ma chemise et de mon veston. Les prémices de
    l’ivresse s’invitent chez Manon. Gestes de plus en plus hésitants, bafouillages, diction
    tortueuse. Dommage. À vaincre sans combattre, on triomphe sans gloire. Le dicton
    à la con. Je modère ma consommation pour ne pas me retrouver con, justement.
    La mécanique est aussi huilée qu’un moteur de Formule 1. Le dessert avalé, je proposerai
    une prolongation de soirée à cette petite gourde. Elle ne refusera pas un tour
    en Porsche. Communistes ou libérales, elles ne refusent jamais un tour en Porsche.
    Griserie de la vitesse, griserie de l’alcool… Dans la nuit, nous nous évanouirons. Le
    noir. Au commencement, à la fin. Le noir de ces ventres habités de gnomes désarticulés
    qui envahissent le monde, et claquent les bottes, grimacent ces bouches
    avides, saignent toutes ces plaies immondes. Le noir de ces mères en deuil dont la
    progéniture sème le chaos à travers les steppes brûlées, le noir de ces cadavres calcinés
    suspendus entre ciel et terre, le noir d’un retour à la poussière volcanique dispersée
    au-delà de l’univers.
         J’aime ce noir. Il me va bien. La lumière n’est qu’une illusion d’optique.
         Et je lui dis, à cette petite conne de Manon, puisqu’elle n’attend que ça (ou
    plutôt, m’entends-je dire) : « Vous me plaisez beaucoup, Manon. » Son regard
    mouillé et lumineux – cette illusion – me raconte l’histoire que nous ne vivrons jamais.
    Celle du Prince et de la Belle. Autour de nous chuchotent les couverts, marmonnent
    les assiettes. Une odeur de parfum et de viande se faufile entre les tables.
    Sous mes doigts, la nappe fait des plis. Je me penche au-dessus de nos plats vides
    pour embrasser Manon, alors que je n’ai qu’une envie : lui planter ma fourchette
    dans la main et l’écouter hurler, ou lui arracher un œil avec la cuillère à dessert puis
    le jeter à travers la salle comme une balle de golf.
         Nous trinquons.
         Le bord de mon verre se fend et, en le portant à mes lèvres, je m’écorche volontairement
    la langue pour sentir la douceur métallique du sang dans ma bouche.


                                                       APOCALYPSE…


         L’ivresse rend faible. Derek le sait, lui qui ne boit quasiment jamais. Seulement
    pour trinquer avec ces femmes arrogantes et peinturlurées, prêtes à battre des
    cils des années durant pour se faire engrosser.
         Des putes déguisées en mères de famille.
         L’ivresse rend faible, et Derek en a profité. À la sortie de la Gondole, Manon
    titubait dans ce crépuscule aux teintes orangées – relents d’essence et de fin du
    monde. Elle s’est accrochée à son bras. Lui a demandé de la raccompagner jusqu’à
    sa voiture, garée à cinq cents mètres.
         — Mais voyons, Manon, vous ne pouvez pas conduire dans cet état.
         — Ah, ah, Manon… Laure…
         — Pardon ?
         — Oups, rien… Vous avez peut-être raison, pour la conduite.
         Installée dans la Porsche de Derek, Manon n’a pas tardé à s’endormir, la tête
    contre la portière. « Vous feriez mieux de dormir chez moi. » Elle a accepté. En tout
    bien, tout honneur. Évidemment. La déchirure orange, à l’ouest, faisait comme une
    blessure dans la nuit. Une lame dans une chair ferme, a pensé Derek en démarrant.
    Les pneus ont couiné, ce qui a tiré Manon d’un nouveau sommeil.
     

         Umberto Tozzi chante. Ti amo, in sogno, ti amo, in aria. Un truc de fille. Elles
    aiment toutes ces mièvreries. La chaîne stéréo semble roucouler sur son meuble. En
    communion avec Manon qui, maintenant étendue sur le lit de Derek, poignets et chevilles
    menottés aux montants, Christ féminin au bord de l’abîme, gémit. Doucement.
         Au premier coup de lame, son hurlement a déchiré le pâle silence de la
    chambre. D’autres cris ont rythmé d’autres coups, puis le volume de ses plaintes a
    diminué. Lorsque Derek l’a pénétrée, sang et chair avalant son sexe, des larmes ont
    remplacé les vocalises. Un filet rouge a rampé hors de sa bouche. Elles se mordent
    la langue, souvent. Douleur et terreur. Derek a bandé plus fort. Ti amo… nel letto
    commando io… Il a joui en même temps qu’il l’étranglait de ses belles mains aux
    ongles soignés. Elle a suffoqué. Craché.

         Derek frissonne aux chants de douleur. La lame brille sous la lumière du plafonnier,
    à l’ampoule vermillon. Tamisée, c’est plus chic. Les putes mères de famille
    adorent les ambiances de lupanar… Derek lèche le sang séché sur les avant-bras de
    Manon. Il aime ce goût, cette texture. Sous sa langue, le corps tremble. Bientôt, ce
    ne sera plus qu’un cadavre découpé et jeté aux renards au fond du parc. Sous les
    arbres, là où personne ne vient jamais. Voilà à quoi servent les propriétés bourgeoises
    héritées de grand-papa : charniers et ossuaires.
         Un havre de paix.
         Ti amo… lo ti amo e chiedo perdono
         La sonnerie de son portable interrompt l’extase. Derek décroche. Antony à
    l’appareil. Un ami.
         — Je viens aux nouvelles, Derek. Tout va bien. Tu étais à cran, la dernière
    fois.
         — Ça va mieux, merci.
         — Tu es sûr ?
         — Certain.
         Quelques amabilités. Une promesse de se voir bientôt. Le regard de Derek
    accroche le sac à main de Manon, posé, jeté même près de la tête de lit – il se rap -
    pelle très bien l’avoir balancé tandis qu’il traînait le corps de Manon à l’entrée de la
    chambre. Une odeur de cuir trop neuf. Il s’en débarrassera. Un sac de femmes chez
    lui pourrait attirer l’attention.


                                                       … Now


         Figée devant l’ordinateur, Candice pleure et suffoque. Incapable de détourner
    ses yeux de l’écran, comme aimantée par l’horreur à laquelle elle assiste, les ongles
    incrustés dans le bois de la table, elle pense aux films d’épouvante qu’elle regardait
    à l’adolescence. Pour se faire peur. Sentir l’adrénaline creuser son lit, tourbillonner
    en elle.
         Ce n’est pas un film.
         Bérénice vomit à la cuisine. Julie tente d’appeler la police entre deux hoquets
    d’effroi. Le choc. L’horreur imprimée au fond de la rétine. Elles ont tout vu, ou
    presque. Pas les premiers coups. Ensuite. Le sac qui atterrit au bout du lit, la webcam
    qui change d’angle dans le mouvement. Rouge et noir, sang et lame d’acier.
         Il est trop tard. Ou pas. Bérénice ne revient pas de la cuisine. La poitrine tout
    à coup secouée de spasmes, Candice entend Julie crier au téléphone qu’il faut intervenir,
    que sa copine est tombée sur un malade mental, que tout est de la faute de
    cette Porsche de malheur, que l’autre l’a violée et va l’achever, qu’elles ont tout vu,
    TOUT VU.
         Ou presque.

     

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